La petite chronique de Damien #18 : La phénoménologie des corps monstrueux

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Accrochez vos ceintures ! Je suis de retour pour vous partager mes lectures, plutôt atypiques. Pour ceux qui me connaissent, rien de surprenant. Ils savent que je réfléchis et suis toujours prêt à pousser mes réflexions plus loin. 

A l'image des articles sur le philosophe Eric Fiat (disponible ici), je continue à m'interroger sur les différents concepts qui s'appliquent sur le statut de personnes handicapées. Au fil de mes différentes lectures, plusieurs concepts ont été abordés, répétés. Des comparatifs étonnants ont été décrits. L'apothéose a eu lieu lorsque j'ai terminé la lecture de la « Phénoménologie des corps monstrueux » de Pierre Ancet.

Plusieurs concepts m'ont interpellé durant ma lecture et il y a des chances que je les connecte avec d'autres lectures. En premier lieu, j'aimerais poser une définition de la phénoménologie. C'est une philosophie qui se base sur des faits, ce qui ne rend que plus facile la mise en relation avec l'expérience réelle. Un objectif reste présent en filigrane, répondre à la question : comment les gens valides nous perçoivent ils ?

 

Le moment de la rencontre avec une personne dite monstrueuse, dans notre cas en situation d'handicap, met en action plusieurs mécanismes plus qu'inconscients, dont je n'avais pas connaissance moi-même. Tout d'abord, la personne en situation de handicap est recouverte d'un voile qui la rend invisible à autrui. Cette ombre du corps handicapé est tellement imposante qu'elle aveugle autrui, incapable de voir au delà.

 

« Que le monstre soit visible en pleine lumière n'y change rien, comme si l'abondance de détails dégageait une sorte d'invisibilité, d'opacité dans le visible » p.21

 

Un premier obstacle difficile et il est ressenti par tous. Qui n'a jamais senti le handicap passer devant la personne que nous sommes ? Mais lors du premier regard, il est facile de croire que nous sommes perçus comme objet puis par chance comme humain. Le processus est inverse. Tout est perçu comme humain avant d'être catégorisé, chosifié, d'où la méprise de mélanger homme et tableau. Dans la même erreur, nous ne nous projettons pas sur l'autre mais l'autre permet la construction et la conscience de soi. Cela rend d'autant plus logique cette reconnaissance de l'autre en soi, reflétant une fragilité qui serait à refouler.

 

« Faut-il voir dans le malaise qui nous étreint à la vue du handicap la marque du refus de voir cette proximité ? » p.27

 

La personne en situation de handicap est située dans un statut d'entre deux, avancé par le concept de liminalité de Robert Murphy. Elle serait dans un cercle perpétuel d'évolution entre personne et non-personne, sans jamais trouver une place définitive. Le corps est en mouvement constant et d'autant plus dérangeant qu'il en est visible. Ne serait il pas plus commode de croire qu'il est immobile correspondant à cette recherche utopique de l'immortalité ?

 

« se protéger contre l'instabilité de son propre corps » p. 67

 

Autrui est confronté à un phénomène au plus proche de leur corps, l'inquiétante familiarité. Concept de Freud, il est en lien avec l'enfance (comme souvent avec Freud). Deux lectures nous sont mises à disposition :

- un élément censé être fantastique trouvant une place dans le réel. Ce paradoxe pour la philosophie d'adulte crée alors le malaise.

- une reproduction d'un phénomène vécu dans l'enfance

Un exemple m'a parlé. Lors de nos premiers mois de vie, nous reconnaissons notre propre corps uniquement par le visage de la mère. Lors de la découverte de ceux d'autrui, nous sommes perdus, ne reconnaissant pas le visage de la mère donc nous même. Un phénomène similaire se produirait en tant qu'adulte : la découverte d'un corps handicapé perd autrui, dont le référentiel du corps n'a été que valide.

 

Pour terminer dans cette construction/perception du corps par autrui, un dernier concept amené par le livre m'a fait penser à une question, quelque peu loufoque. Le Moi-peau peut se référer à l'intégrité du corps comme un garant de la construction de soi. Différentes fonctions y sont liées : l'individuation et le soutènement sont décrites. L'individuation est la capacité du corps à s'assumer seul. Par exemple, chez des siamois, l'individuation est mise en déroute car on a cette impression de deux corps en un. Le soutènement est la capacité du corps à se maintenir dans sa complétude, sans menace de se vider. La peau en est la principale garante. Chez les enfants nés avec les organes à l'extérieur du corps, elle est remise en question. Lorsqu'une fonction est interrogée, un malaise est aussi présent, comme hors d'une normalité visible.

Voici ma question : pour une personne utilisatrice d'un fauteuil roulant, le Moi-peau serait-il menacé ? La personne est souvent perçue comme fondue avec son fauteuil roulant. Cette hybride méca/humain préserveraient-ils certaines fonctions du Moi-peau par ce biais ?

 

Enfin quelques citations du livre avec quelques commentaires :

 

« Ces images mettent au jour le désir que cet être pourrait avoir pour moi, ou pire, que je pourrais éprouver pour lui »

Cette phrase met en relief une problématique dans la sexualité chez les personnes en situation de handicap. Assumer une sexualité aujourd'hui est difficile où elle est infantilisée, moquée. La monstruosité n'a pas sa place dans la normalité de la sexualité. La culpabilité est capable d'enlever toute envie.

 

« Le regard empreint de compassion n'échappe pas au risque d'une distanciation involontaire »

Souvent, le regard de pitié est coupable de la mise à distance avec une personne en situation de handicap. Mais il en est de même dans le regard compatissant, maternant qui biaise une relation. A se demander si autrui ne cherche pas à prendre soin de lui-même dans ces situations, compte tenu de cette proximité pas forcément reconnue ? Ou bien comme une manière de se dédouaner ou d'être un faire valoir pour soi-même ?

 

Je présente mes excuses à ceux que j'aurais assomés avec cet article. Je crois énormément que c'est une solution pour trouver des réponses à pourquoi être perçu de la sorte. Des phénomènes complexes sont en jeu, la marge de manœuvre est étriquée mais heureusement certains comportements restent à saluer. J'espère que cet article vous éclairera comme le livre a su le faire avec moi.

 

Pour la prochaine chronique, j'aborderai cette question d'un point de vue plus pratique avec une initiative que j'ai eue il y a quelques mois.

 

Damien

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